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Chroniques
Le Chat noir
hommage au cabaret de Montmartre
De 1881 à 1897, Le Chat noir, situé au pied de la colline de Montmartre, accueillit le Tout-Paris amateur d'esprit bohême. Dans un quartier déjà bien fourni en cafés, bals et cirques, son ambiance et son succès durent beaucoup à la présence de Rodolphe Salis. Entouré de jeunes talents, ce poète et bonimenteur fit du lieu un cabaret artistique original, avec diffusion d'une revue (dix ans d'existence, partagée entre naturalisme, symbolisme… et fumisterie), promotion de la chanson vivante et théâtre d'ombres. Dans la salle du deuxième étage – ancien atelier du peintre Stevens –, Henri Rivière créa plus de quarante-cinq pièces, en manipulant des décors et des silhouettes en zinc derrière un écran éclairé par une lanterne. Les musiques de Charles de Sivry, Albert Tinchant et Georges Fragerolle accompagnaient ces ombres que le public voyait dans la salle. Le 28 décembre 1895, la première séance de cinéma lancerait une autre forme de divertissement populaire.
Bourgeois, passez votre chemin ! De la forêt de Saint-Germain au Bazar de l'Hôtel de Ville, de Belleville à Picpus, on se croit en terrain connu, mais attention, la lune est rouge. Quatre artistes mettent au programme la fantaisie, la satire de mœurs et la critique politique, et tels les merry-birds du premier tableau de la soirée, renversent tout sur leur passage. Ni le pape Léon, ni surtout le gardien de la constitution gouvernementale seront épargnés ; car depuis la Guerre de 70, on sait que le patriotisme est un toboggan vers le Champ d'Honneur…
Chanteuse de rue depuis vingt ans, Françoise Le Golvan affiche une tête de Gavroche très expressive. Sa familiarité avec l'argot de l'époque lui permet une diction parfois trop rapide pour le spectateur, si bien que c'est dans les chansons moins rythmées, comme l'irrésistible Bain du modèle de Léon Xanrof, qu'on goûte la qualité de son travail. On ne présente plus Philippe Meyer, chroniqueur radiophonique et homme de spectacle. Plus conteur que chanteur, il nous livre, a cappella, le célèbre Fils-père de Georgius et Chagnon, postérieur à l'époque mais indémodable.
Avec plusieurs cordes à son arc (baroque, mélodie et lied, opéra des XIXe et XXe siècles), Jérôme Correas est un baryton-basse des plus attachants, surtout lorsque, souffrant comme ce soir, il entre en scène tout de même, une tasse de tisane à la main. Sa belle ligne de chant, sa vaillance, ses aigus capiteux sont un plaisir qui ajoute à l'émotion et à la poésie des tableaux colorés de Rivière – tel ce mystère en dix tableaux, La Marche à l'Etoile. Mais il sait aussi nous amuser : Le Pendu de Mac Nab le voit prendre l'identité de plusieurs personnages… sauf celle de la fiancée, qui permettra une intervention remarquée de Susan Manoff, dont l'espièglerie avait couru jusque-là sur le clavier.
Avec ce bel hommage du Musée d'Orsay à l'esprit de la Butte, les amateurs de chanson française saisiront mieux d'où viennent nos Michèle Bernard, Juliette Noureddine et Jean Guidoni – dont on retrouve ici la chanson de Paul de Kock chantée par la seconde et la musique de Louis-César Desormes mise à profit par le chanteur pour son spectacle Fin de siècle.
LB